Le 12décembre
2002, le quotidien thaïlandais, Bangkok Post, publiait une information
surprenante : six ouvriers de nationalité vietnamienne, travaillant
pour une société laotienne nommée DAFI, ont été arrêtés pour entrée
illégale en Thaïlande avec deux camions afin de récupérer 300 troncs
d’arbre!Ce fait-divers rocambolesque révèle en fait
les dessous d’un trafic lucratif, celui du bois, auquel semblent s’adonner
en toute impunité depuis près de trois décennies de hauts responsables
communistes laotiens. Un commerce qui estloin de bénéficier à la population de ce pays, dont les dirigeants
ont déjà reçu de la communauté internationale des centaines demillions de dollars pour… « lutter contre la déforestation ».
Ledécret anti-corruption
signé par l’ancien Premier ministre en 2000, les mesures de contrôle
des exploitations de bois lancées cette année par le gouverneur de
la province de Vientiane ou la création de la Division Anti-Corruption
au sein du ministère de la Sécurité n’ont absolument rien changé.
Ce sont de telles pratiques que dénonce le Mouvement Lao pour les
droits de l’Homme (MLDH) en raison de leurs conséquences négatives
sur l’évolution du pays vers le respect des droits économiques, des
Libertés, etde la Justice
sociale.
La société DAFI (Integrated Agriculture Forestry Development) forme
avecAFD(Agriculture Forest Development Company) et
PHOUDOÏ, trois sociétés d’Etat relevant de la toute puissante
armée populaire et ayant notamment le monopole de l’importation des
carburants, de l’exploitation des minerais et de celle des riches
forêts de la République Démocratique Populaire Lao (RDPL). Pour ces
activités hautement lucratives, AFD couvre le nord du pays, PHOUDOÏ
s’est vu confier la région centre, tandis que DAFI règne en maître
sur les provinces du sud. Les firmes étrangères cherchant à exploiter
le bois n’ont d’autre choix que de coopérer avec l’un de ces trois
groupes privilégiés.
Il n’est un secret pour personne, et surtout pas pour la population laotienne,
que ces trois sociétés d’Etat sont étroitement liées aux plus hauts
dirigeants du Parti unique au pouvoir et à leurs proches. Ainsi, certaines
« retraites anticipées », certains changements d’affectation
pour les cadres ou les officiers supérieursse négocient à coups de « largesses », sous
forme d’attribution d’exploitation de forêts dont les surfaces varient
selon la hiérarchie et le « passé révolutionnaire » des
bénéficiaires.
Ce « troc » à la sauce marxiste-léniniste rappelle que la RDP
Lao est toujours dirigé par des militaires tant au niveau du
Politburo qu’à celui de l’administration centrale et provinciale.
Ainsi, c’est le généralKhamtay
SIPHANDONE, qui occupe les fonctions de chef d’Etat et de président
du Comité central du « Parti Populaire et Révolutionnaire Lao »
( PPRL), dont le bureau politique comprend sept généraux et un colonel
sur 11 membres: général Samane VIGNAKET, président de l’Assemblée,
général Choummaly SAYASONE, vice-président, général Osakan THAMMATHEVA
(décédé en novembre 2002, non encore remplacé), général Sisavath KEOBOUNPHANH,
ancien Premier ministre, général Asang LAOLI, vice-Premier ministre,
et général Douangchay PHICHIT, ministre de la Défense. Lecolonel Boungnang VORACHIT, le moins gradé des onze «camarades-en-chef»,
occupe le poste de Premier ministre. Quant augénéral Kham Ouane BOUPHA, ministre de la Justice, iln’est pas membre de la PPRL.
Selonun rapport sur le commerce
du bois et l’exploitation des forêts –« the Poverty Reduction
and Environmental Management in Remote Greater Mekong Sub-region Watersheds-project
and its Timber Trade and Wood Flow », réalisé par un consultant lao, un consultant
international, supervisés et assistés par un responsable de projet
international – DAFI, AFD et PHOUDOÏ sont « au-dessus des lois ».
Et, malgré les règlements sur les quotas de bois et les pratiques
d’exploitation des forêts, leministère
de l’Agriculture et des Forêts «n’exerce aucune autorité» sur ces
trois compagnies très spéciales dont le fonctionnement est totalement
opaque, relève cette étude internationale.
Concessions
aux compagnies vietnamiennes
Toujours selon ce rapport, DAFI--
qui dispose notamment du monopole sur le déboisement du site du projet
de barrage Nam Theun II, dont le réservoir couvrira 450 km2 dans la
région du plateau de Nakaï (centre) -- sous-traite largement avec
des sociétés vietnamiennes pour la coupe et le transport du bois.
Cettemême étudementionne des concessions faites par DAFI à des compagnies
vietnamiennes, portant sur l’exploitation des forêts dans des zones
reculées du Laos, où aucune vérification n’est possible notamment
sur les volumes de bois coupés.
De son côté, Global Witness,organisation
de surveillance de l’environnement basée à Londres (Royaume-Uni),a alertéà plusieurs reprises le gouvernement thaïlandais
sur les activitésde la société
DAFI et sur ses « trafics illégaux » de 100.000 m3bois du Cambodge vers la Thaïlande, via le
Laos, en faisantpasser pour
du bois laotien auprès des acheteurs.
L’un des nombreux rapports de Global Witnessaconsacré un long passage
à«DAFI
et la connection laotienne ». Preuves à l’appui, le rapport
cite DAFI comme une société de boisappartenant
à l’armée laotienne, qui a coupé quelque 40.000 m3dans la province cambodgienne de Strung Trèng,
payés en nature avec de 50 camions, 150 ouvriers,des machines pour travailler le bois et des
matériaux de construction routière. Ce bois, dont l’acquisition a
été négociée secrètement par DAFI avec certaines autorités militaires
du Cambodge, a été traité à la scierie de la compagnie DAFI à Champassak
( sud du Laos) pour être exporté ensuitevers le Vietnam et la Thaïlande. Aux termes de cet accord secret,
les ouvriers devraient être laotiens mais, selon les fonctionnaires
et les villageois khmers de la région de Strung Treng, les 150 ouvriers
étaient tous vietnamiens et les 50 camions arrivaient directement
du Vietnam. Ce qui a permis à Global Witness de conclure que DAFI,
société d’Etat laotienne, « sertles intérêts vietnamiens en exportant illégalement le bois du Cambodge ».
Lors d’une récente conférence
à la mi-septembre 2002 à Bruxelles (Belgique), consacrée à la situation
des droits de l’Homme en Birmanie, au Laos et au Vietnam, Alain LABROUSSE,ancien directeur de l'Observatoire Politique des Drogues, a
fait état d’une « coopération active» entre les militaires vietnamiens et laotiens
dans le trafic de drogues, à travers la société PHOUDOI. «Des militaires des deux pays paraissent coopérer
activement. Un expert, qui a participé à la réunion du mini-groupe
de Dublin (instance informelle qui regroupe les pays de l’OCDE), le
18 mai 1998 à Vientiane, nous a affirmé que des camions militaires
vietnamiens entrent au Laos par le poste-frontière de Na Pè (…)pour prendre livraison de l’héroïne produite dans les laboratoires
de la région », a-t-il indiqué.
Selon lui, ce poste-frontière,
situé près de la ville nouvelle de Lak Xao (kilomètre 20) « a
été ouvert par un général connu comme le +Khun Sa laotien+, alors
qu’il était directeur de la société PHOUDOÏen charge de l’exploitation forestière
du nord.. On dit qu’il utilisait les véhicules de la société qui
traversent chaque jour le pays d’Est en Ouest et du Nord au Sud
pour faire transiter la drogue destinée à l’exportation», a
affirmé M. LABROUSSE, en allusion au général Cheng SAIGNAVONG, dont
« la réputation sulfureuse
n’a pas empêché sa promotion au poste de vice-ministre du Tourisme
pour préparer l’année du tourisme au Laos qui a eu lieu en 1999 ».
Les membres d’une ONG (Organisation
non gouvernementale) franco-suisse travaillant dans la province d’Attapeu,
dans le sud du Laos, rapportent pour leur part avoir assistéà « l'abattage systématique des forêts »par la société DAFIet avoir vu passer
« plus
de 150 camions à la fois, tous chargés de troncs entiers »
vers le Vietnam et la Thaïlande.
Outre Global Witness,Environmental Investigation Agency (basé à
Londres et Washington DC),The
International Tropical Timber Organization ( basé à Yokohama, au Japon),
de même que Earth Policy Institute (basé à Washington DC),dénoncenteux-aussi la persistance «délibérée» de ladéforestation et du«trafic illégal » du bois
par les autorités de la RDP Lao. Cette pratique a eu pour conséquence
de réduire la surface forestière du pays à « moins de 40%»
contre 70% il y a encore 30 ans, peu avant l’arrivée des communistes
au pouvoir, soulignent ces sources.
Selon ces mêmes organisations
internationales, seulement un tiers des revenus du commerce du bois
au Laos revient à l’Etat. Un triste constat pour la population comme
pour le Laos, classé parmi les pays les plus pauvres de la planète
et auquel les pays donateurs ont déjà octroyé, en toute bonne foi,
des centaines de millions de dollars pour financer des « campagnes
contre la déforestation » que les dirigeants du Parti unique affirment
avoir menées au cours de ces dernières années.